Léa, c’est ainsi qu’il nomme son atelier (Laboratoire d’Expériences Artistiques). Déroutant cet atelier… à l’image de son propriétaire. Ambiance : au fond, un immense mur blanc, des projecteurs allumés, un appareil photo prêt à mitrailler. Sur les murs, des photos de muses se mêlent à des croquis en attente de réalisation. Un peu partout dans la pièce, de nombreux tableaux sèchent, sur une table des pots de peintures entamés témoignent d’une émulation récente, des matières en tout genre sont posées çà et là. Sur la gauche, un vrai crâne humain, semblant nous surveiller, côtoie d’étranges mannequins vêtus de bonbons ou de canettes de soda, imperturbables face au tourbillon Patrice Murciano. Car c’est bien d’un tourbillon dont il est question, une déferlante même… Ce touche-à-tout en est déconcertant : tout ce qu’il touche devient Art.
Ne le réduisez pas au rôle d’artiste peintre, car ce serait bien mal le connaître : photos, infographie, sculpture, cinéma, stylisme, design sont autant de supports qui permettent à ce« chercheur en art » d’assouvir sa quête de sens. En recherche perpétuelle de nouvelles techniques et de nouveaux styles, il pense l’art en mouvement…
Profondément tourné vers l’Autre, vers les autres, il est avant tout inspiré par l’émotion des corps, des visages, des « gueules »… Cherchant à sonder l’âme humaine, c’est dans ces regards ou dans ces postures de muses, de portraits célèbres, qu’il assouvit sa quête.
C’est cette quête qui le conduit en 2013 à peindre Jean Paul Gaultier et à lui envoyer une toile inspirée d’une photographie de Michel Comte. L’enfant terrible de la mode a tellement apprécié qu’il a non seulement invité Patrice Murciano à son défilé le 3 juillet 2013 à Paris, mais a tenu à ce que ce tableau intègre l'exposition "La planète mode de Jean-Paul Gaultier: de la rue aux étoiles", retraçant la carrière du styliste. Celle-ci sera bientôt à New-York puis à Londres.
Cette rencontre est un déclic, le tourbillon Murciano se déchaîne, il est temps pour l’artiste de rendre hommage à celles et ceux qui l’inspirent : c’est au tour du chanteur M, de Vanessa Paradis, de Sophie Marceau, de Lambert Wilson, de José Garcia de se faire refaire le portrait, à leur grande satisfaction. Le chercheur en Art parvient à sublimer les personnages, à dépasser leur image trop souvent lisse ou caricaturale, à faire exploser les couleurs comme autant d’énergie positive qu’il souhaiterait leur envoyer. Et des ondes positives, il en a des tonnes à partager…
Et si cela ne suffisait pas, Patrice Murciano se lance en parallèle dans l’univers de la mode. Les surfaces planes ne sont plus suffisantes à l’artiste pour s’exprimer : il lui faut de la 3D, il pense volumes, espaces, l’énergie doit « éclater » tel un big-bang visuel. Ses créations « fashion design » sur des mannequins de vitrine en témoignent : du Kimono de Geisha aux majestueuses veuves noires, en passant par des femmes bonbons ou des femmes sodas… Univers farfelu, oui ! Mais univers qui montre son attachement à tous les types de femmes et qui témoigne de son regard sur ses contemporains. Et comme Patrice Murciano est un insatiable, ce sont bientôt des mannequins en chair et en os qui porteront ses œuvres…
La question que chacun peut se poser légitimement : mais comment en est-il arrivé là ? Et ce n’est pas du côté des bancs de l’école qu’il faut se tourner… C’est peut-être ce qui lui donne cette liberté de ton, cette capacité à mettre un coup de pied aux conventions. Autodidacte, il s’est construit loin des parcours classiques des Beaux-Arts, utilisant dès l’âge de 6 ans le maquillage de sa mère pour dessiner des portraits. Il démultiplie les styles et les techniques, qui sont autant de pistes exploratoires, autant de manière de concevoir le Vrai, le Beau et le Juste. Du Courbisme au Gribouillisme, du Pop Grunge au New Pop, il nous livre ses vérités avec sincérité.
Avec le New Pop, son œuvre est une explosion « d’énergie primordiale » qui émane de la Lumière (fonds blancs) ou du Chaos (fonds noir), de coulures et de couleurs, rehaussée de gribouillisme (geste rapide comme une grande signature). Tout comme la Lune apporte la lumière dans les ténèbres, son univers est un booster d’énergie positive dans un monde en crise… Cette Lune toute féminine vient contrebalancer la vision d’un monde où la rationalité et le calcul priment. A l’intelligible solaire, Patrice Murciano préfère le sensible lunaire… Ses coulures ne sont que le reflet du mouvement éternel de la Vie, tel le crane qui trône dans son atelier : rien n’est statique, rien n’est figé, rien n’est lisse…
Le New Pop est certainement le style qui correspond le mieux à sa personnalité complexe : une onde de choc !
A contre-courant Patrice Murciano ? Certainement, mais il entraîne beaucoup de monde dans son sillage…
Patrice Murciano est un « attrapeur de Lune »… Rêvant secrètement depuis son enfance d’être astronaute, il a longtemps nourri l’idée de peindre sur la Lune une œuvre visible de la Terre, œuvre dont le message d’amour aurait été adressé, de facto, à l’ensemble des êtres humains… Il s’est dit finalement que s’il ne pouvait aller sur la Lune, la Lune irait à lui, tel un point de mire…
Finalement, cette anecdote ne nous dit rien d’autre que le questionnement de l’artiste sur les lois immuables de notre être au monde, son interrogation sur la place de l’humain dans le Tout. Cet attrapeur nous interroge sur ce qui nous dépasse, la Lune venant synthétiser l’infini…
Peut-être qu’un jour il parviendra à attraper la Lune, peut-être pas… mais quoi qu’il arrive, il restera toujours les pieds ancrés dans la terre et la tête dans les étoiles…
Christa Dumas